"Après l'occident, ce sont les pays voisins qui repousseront les migrants Guinéens si

la jeunesse ne prends pas son destin en main"

Président

NOUVELLE

Le peuplement ancien de la Guinée Forestière selon Jacques Germain

LE PEUPLEMENT ANCIEN DE LA GUINEE FORESTIERE

 

Les plus anciennes légendes font état tant chez les Kpellé que chez les Manon de la descente d'un ancêtre sur une montagne.

 Deux « points de chute » reviennent le plus fréquemment : ce sont la région de Boola pour les Kpellé et la montagne de Karana pour les Manon.

  En ce qui concerne les Kpellé, leur ancêtre serait descendu du ciel (ou de la lune plus  précisément, selon certains) sur une montagne soit entre Beyla et Boola  soit au Sud-Est de  Boola . La tradition que nous avons nous-même recueillie est conforme à cette dernière localisation. Son nom aurait été Niama. Chasseur, il aurait rencontré un jour une femme

 nommée Gama de la Tribu Geh ou Guéré qui l'aurait emmené dans sa famille, laquelle occupait un campement de chasse dans cette région, au NordOuest de son habitat qui couvrait à  l'époque tout l'Est du cercle de Nzérékoré. Il se sépara des Guéré ou des Geh par la suite et remonta vers le Nord avec ses enfants et sa femme.

 Alors que Duffner fait descendre du ciel le premier Manon nommé Damé sur la montagne Sango au Sud de Boola, nous avons pour notre part retenu que le premier Manon serait descendu sur la montagne Kohiré et aurait fondé le village de Karana, centre de dispersion des Manon.

  Père Lelong selon un manuscrit de 1912 que nous avons également eu entre les mains au poste de Nzérékoré, tout en faisant également arriver le premier Manon sur la Montagne Sango, considère celle-ci comme le centre de dispersion des Manon sur toute une partie de l'Ouest et du Centre du cercle de Nzérékoré. Une fraction sous les ordres de Ga descendant vers le Sud fonda Karana et peupla l'actuel Manaleye.

 L'appartenance ethnique de la femme à laquelle s'allia le premier manon n'est pas précisée et ce n'est que le fils de Ga, Yopia, qui ayant traversé le Mani, entra en contact avec les Guéré qui sont des Kru ou avec les Geh qui sont des Dan (ou parents des Dan).

  Une autre légende recueillie par B. Holas fait du fondateur du canton Kono du Vépo (il ne faut pas confondre, rappelons-le, les Kono de Guinée avec ceux de Sierra-Leone) un Manon, Kossiré, venu effectivement de Karana s'établir dans une savane au Sud du Nimba et prenant femme dans une tribu autochtone dont l'ethnie n'est pas précisée. Leur fils Somia, serait l'ancêtre des Kono.

 On peut supposer, étant donné ce que nous avons rapporté que les autochtones étaient des Guéré ou une tribu apparentée.

 Ces Guéré, dont l'importance semble certaine dans l'élaboration des peuples de la Région Forestière de Haute-Guinée, disent eux-mêmes venir de l'Est. Ils font partie d'une de ces vagues que les coups de boutoir des suivantes envoya-'elit plus à l'Ouest : rejetés par les Beté derrière la Sassandra, ils s'étaient répandus dans la vallée du Nzo dans le Nord-Ouest où ils se heurtent aux Dan, eux-mêmes refoulés vers le Sud par les Mandé. Ils se rabattent vers le SudOuest, couvrant la partie Est (au moins) du cercle de Nzérékoré jusqu'à ce que Kpellé, Manon et Kono, tout en s'alliant à eux par le sang, les refoulent sur ce qui devait être la Côte-d'Ivoire. Les Dan accentuant leur pression les cantonnent sur Duékoué - Toulepleu Guiglo soit entre Sassandra et Cavally et au Sud du 70° de latitude Nord. Mais nous n'en sommes pas encore là.

D'autres légendes donnent bien la montagne comme lieu d'élection des ancêtres de nos populations, non pas le sommet mais ses entrailles. Telle est l'origine des Dio, ou Guio, ancêtre des Dan sortis de la montagne Gouin près de Touba en Côte-d'ivoire.

 Ces légendes ou tout au moins ce qu'on peut en tirer après les avoir débarrassées du merveilleux qui les entoure, cadrent assez bien avec ce que l'on sait de certaines rnigrations.

 D'après J. Richard-Mollard la forêt aurait été vide ou très peu peuplée et il voit dans l'existence de certaines savanes guinéennes préforestières la confirrnation d'une invasion par la bordure intérieure de la forêt car c'est en effet par sa lisière nord que la grande forêt, pour des motifs climatiques, est la moins stable. Avant de s'y enfoncer sous la pression des peuples mandé du nord, les paléonigritiques qui allaient devenir sylvestres occupent les massifs montagneux de Haute-Guinée ou de l'Ouest de la Côte-d'Ivoire où ils se jugent plus en sécurité. Par la suite les uns s'y accrochent comme les Dan et les Wein ou Toura, les autres se réfugient dans la sylve.

 

Remarquons que ces migrants ou envahisseurs ne trouvent pas la forêt vide et les populations autochtones, personnifiées par la femme qu'épouse l'homme de la montagne, si elles ne sont pas nombreuses, se trouvent en place. Peut-on les appeler aborigènes ? Sont-elles déjà le résidu d'une première vague qui aurait elle-même trouvé sur place d'hypothétiques négrilles qu'elle aurait réduits et avec les femmes desquelles elle se serait unie ? On a vu ce qu'on pouvait en penser.

A l'intérieur-même de la Forêt, l'habitat montagnard a laissé maintes traces qu'il fut soit un habitat permanent soit un habitat de refuge, d'où le caractère sacré de ces montagnes pour les descendants de ces anciens occupants. 

  1. Schnell a rapporté l'existence de traces d'occupation humaine aussi bien sur le massif du Ziama à l'Ouest que sur le mont Nienokoué au Sud-Est. Sur le Ziama à 900 m d'altitude, il a découvert un cercle de pierres plates comme il en existe dans les villages actuels de la région. Sur le Nimba, vers 700 m, il a noté les traces de hameaux de refuge avec une végétation dégradée.

 S'il existe de nombreux abris sous roche tant au Nienekoué près de Tai qu'au Ditrou près de Tinhou (subdivision de Toulepleu, Côte-d'Ivoire) évoquant un habitat d'hommes des cavernes, on a trouvé des terrasses circulaires en pierres plates de quatre mètres de diamètre qui ont pu servir de soubassement à de véritables cases et sont donc les témoins de la présence d'anciens villages.

 

 Les cavernes ou abris sous roche, tels celui de Blandé près de Nzo, ont pu servir à nouveau de refuge en des temps plus récents.

 

Ces montagnes passent pour abriter des génies, incarnation des premiers habitants, qui revêtent diverses formes. Souvent, c'est sur le sommet qu'on place le village des morts, ce qui semble également indiquer que là vivaient les ancêtres. Elles sont le siège d'un culte et le lieu de sacrifices. Duffner rapporte que les Kpellé y offraient des sacrifices humains dont les captifs de guerre étaient les victimes.

 

 Sur le Tonkoui d'après Ph. Bouys on offrait des sacrifices à l'esprit qui l'habite pour obtenir de bonnes récoltes. Les habitants de Nzo faisaient de même sur le Nimba. 

 

  1. Schnell en pays Guéré a recueilli des traditions selon lesquelles les montagnes étaient habitées par les premiers hommes qui y avaient été refoulés par les Guéré 74. On ne les voyait pas mais on les entendait il y a trois générations (?).

 On peut imaginer un peuplement très ancien peu dense et dispersé, fixé sur les différents massifs dont les habitants se faisaient réciproquement la guerre. Une légende du pays Kono- Manon incite à l'admettre.

 

On raconte que le Mont Nimba et la Montagne Blon se battirent un beau jour et que le Blon cassa deux dents au Nimba lequel cassa un pied au Blon. Le Nimba, qui passe pour avoir un caractère maléfique, criait lorsque les habitants de la plaine se réfugiaient sur ses pentes ce qui signalait leur présence aux agresseurs ; il s'est également battu contre le Mont Gonotou près de Séringbara. Le Mont Blon au contraire avait un caractère bénéfique et par son silence protégeait ceux qui cherchaient refuge sur lui.

 

Ces légendes semblent faire allusion à la dispersion de l'habitat sur les massifs et à l'antagonisme des petits groupes qui y vivaient. Ce fait n'a rien de rare en Afrique : on retrouve un tel état de guerre entre pitons et massifs en pays Kirdi du Nord-Cameroun et plus près dans le Massif Man-Touba entre villages Toura accrochés à leurs escarpements.

 

Ces vagues successives de peuplements anciens, si nous n'en discernons pas avec précision et les dates et les itinéraires et la composition, peuvent cependant être expliquées par les mouvements généraux de population en Afrique au Nord de l'Equateur. Ces mouvements sont eux-mêmes liés aux grands épisodes climatiques et l'on peut résumer les uns et les autres de la façon suivante :

 

Un épisode sec et froid aurait suivi le troisième pluvial gamblien, mais il aurait été de courte durée puisque vers le début du huitième millénaire avant Jésus-Christ un nouvel épisode humide commençait. Cet épisode appelé Makalien en Afrique Australe et Orientale a correspondu à l'ère du Sahara humide pendant environ deux mille ans, période que R. et M. Cornevin qualifient d'« optimum climatique saharien :

 

« Le Sahara qui contient aujourd'hui moins du centième de la population totale du continent, tout en occupant le quart de sa surface totale, est devenu son principal foyer de peuplement attirant dans la savane arborée à végétation méditerranéenne qui le recouvrait alors en partie, les populations paléolithiques chassées des zones soudanaises trop marécageuses ou des montagnes maghrébines trop inhospitalières. Il a vu se développer une civilisation de chasseurs particulièrement remarquable par ses réalisations artistiques ».

 

Le dessèchement commence dès le sixième millénaire av. J.-C., mais il est lent, même très lent, puisqu'il faut attendre -2500 approximativement pour qu'il s'accélère au point de provoquer l'exode vers le Nord des proto-berbères et des populations noires vers le Sud, populations dont les modes de vie s'étaient diversifiés pendant ces millénaires : chasseurs, pasteurs, pêcheurs, agriculteurs, étaient passé du Paléolithique au Néolithique dit Saharien avec pour au moins une grande partie d'entre eux une sédentarisation parfois préalable à l'introduction d'une véritable agriculture, les populations sédentaires ou seminomades vivant des produits de l'élevage ou de la récolte et du traitement des graminées sauvages.

 

Peu à peu les éleveurs cherchant de nouveaux terrains de parcours capables de nourrir leurs troupeaux, les pêcheurs des cours d'eau qui ne fussent pas en voie d'assèchement, les agriculteurs des terrains cultivables, ont reflué vers une zone que R. et M. Cornevin (op. cit., p.44) situent entre Niamey et Abéché, c'est-à-dire dans la région du Niger et de part et d'autre de cette mer intérieure qu'était alors notre lac Tchad.

 

Ce mouvement s'est étendu de -2500 à -500 c'est-à-dire durant deux millénaires. La Berbérie en même temps qu'elle entrait dans l'Histoire méditerranéenne était coupée du monde noir et le Sahara n'était plus qu'un terrain de parcours de nomades, en général blancs, à l'exception d'une tribu, les Toubbou du Tibesti de race noire, tandis que quelques populations résiduelles noires, sédentaires restaient dans les oasis sahariennes septentrionales, îlots témoins du peuplement ancien du Sahara et non pas, tout au moins pour tous, esclaves importés du Soudan par les nomades berbères et plus tard, arabes.

 

Ainsi se constituait une « zone de pression démographique » dans le Soudan Central qui, d'après les auteurs déjà cités aurait été à l'origine du « noyau bantou primitif » des linguistes.

 Les néolithiques sahariens auraient été à l'origine de l'agriculture soudanaise et auraient introduit des cultures comme le mil et le riz africain qui s'étaient développées dans le Sahara Méridional. C'est là aussi que serait née la métallurgie.

 

Le mouvement Nord-Sud aboutit à une montée de la pression démographique et, vers l'an mille avant JésusChrist, à une explosion qui aboutit à une dispersion sous forme de vagues successives soit vers le Sud où elles se heurtent à la forêt équatoriale qu'elles pénètrent en empruntant les voies fluviales soit vers l'Ouest par la lisière nord de la forêt dense tropicale humide.

 

Ce schéma semble coïncider avec deux observations ou hypothèses que nous avons faites ou émises précédemment : d'abord le recouvrement de l'hinterland de la façade ouest atlantique par des populations dont il ne reste souvent que des ilots témoins ou des franges littorales et dont les langues appartiennent au groupe sénégalo-guinéen, c'est-à-dire des langues semi- bantou à classes. Il faudra attendre l'arrivée postérieure des Mandé pour modifier la carte linguistique, la composition anthropologique et la carte ethnographique.

 En second lieu, la légende relative aux Guio sortis de la montagne Gotlin et qui étaient des forgerons se replace dans le cadre d'une vague d'envahisseurs suivant eux aussi la lisière montagneuse nord de la grande forêt et introduisant la métallurgie.

Ces migrateurs qui étaient soit des conquérants soit des fuyards, parfois les deux ou d'abord l'un puis l'autre, sont appelés par A. Arcin  Ethiopiens macrobiens d'une façon générale. La dernière vague qui atteignit la côte Ouest Atlantiqtie est dotée par lui du nom de Baga et déborderait très largement la tribu côtière qui porte ce nom. Il les décrit de la façon suivante :

 « Excellents arboriculteurs ils apportèrent avec eux le palmier à huile et le colatier, s'établissant de préférence dans ces failles profondes des cours d'eau. Là ils trouvaient la terre noire avec laquelle ils confectionnaient leurs poteries. La famille constituait une cellule indépendante.

Grands buveurs et grands guerriers, ils construisaient des monuments mégalithiques, enterraient leurs morts dans les cours d'eau ou accroupis et même debout dans des fosses profondes au-dessus desquelles étaient dressés des cromlechs. Grands féticheurs et grands sorciers ils adoraient les génies locaux ».

 

Bien sûr, depuis 1911, date à laquelle A. Arcin écrivait cela, nos connaissances ont progressé mais beaucoup de traits contenus dans le portrait du Baga dressé par Arcin se retrouvent dans les populations forestières d'aujourd'hui. Tout d'abord, la culture du colatier et l'abondance du palmier à huile dans la forêt secondaire et sur sa lisière nord. Puis les coutumes concernant l'ensevelissement tant chez les Guéré que chez les Kissi, où nous le verrons, se retrouvent les coutumes d'enterrer les morts accroupis ou même dans le lit de cours d'eau dans certaines circonstances, bien que d'autres auteurs aient attribué cette coutume aux négrilles.

 

Ainsi, avec l'arrivée des vagues successives la forêt est-elle au moins entamée sur sa lisière nord, même si l'intérieur ne connaît qu'une population excessivement clairsemée soit de « résiduels » soit de « refoulés ». Mais déjà sont en place au cinquième siècle avant Jésus-Christ dans la savane préforestière, forêt parc, forêt galerie, l'ensemble des tribus qui, après brassage plus ou moins prononcé avec les nouveaux arrivants, les Mandé, donneront les actuelles populations forestières de notre Région.

 

Un point important reste à préciser, celui du peuplement Kissi. Jusqu'à une date récente, la plupart des auteurs pensaient que les Kissi avaient été chassés du Fouta-Djallon par les Mandé et que leur arrivée dans la région forestière ne datait que de deux siècles environ.

 

Certains même donnaient aux Kissi une origine Mandé en faisant d'eux le produit du métissage de primitifs Lélé avec les Djallonké 78 alors que c'est exactement le contraire, les Lélé étant le résultat d'un métissage de Kissi autochtones par des Mandé Kouranko qui leur imposent leur langue.

 

Quelques années auparavant, en 1907, le même auteur Arcin, assimilait même les Kissi aux Malinké 79. C'est, croyons-nous le médecin-major des troupes coloniales, H. Neel 80, qui aurait fondé le caractère secondaire du peuplement Kissi de la forêt sur le fait que les Kissi n'étaient pas les auteurs des statuettes et que la sculpture de celles-ci devait être le fait d'une population autochtone qui les aurait précédés. 

 

  1. Paulme a repris cet argument tout en notant le caractère composite du peuplement Kissi.

 

« Quelques familles dans le Nord du Pays se vantent d'une origine Mandé ; plus à l'Est on se souvient d'un ancêtre qui serait arrivé de l'Est ; et dans le Sud leurs descendants attribuent volontiers une origine méridionale au lignage 81. L'auteur rapporte également une tradition transmise par quelques vieillards selon laquelle à une époque reculée, une grande migration aurait détaché les Kissi du rameau mandé et les aurait fixés au SW de leur habitat actuel où ils seraient revenus par la suite.

Ce ne serait donc plus des populations refoulées par les Mandé, mais un rameau des Mandé eux-mêmes ! Ce qui serait paradoxal si l'on rappelle que la langue Kissi n'appartient nullement à la famille Mandé.

En fait, tout ceci n'est pas absolument contradictoire si l'on admet que sur sa lisière nord le fond archaîque Kissi proprement dit a été affecté par les invasions mandé Ouest-Est (Djallonké) ou Nord-Sud (Malinké) mais que ces apports n'ont pas été suffisants pour imposer une nouvelle langue, ou bien que les Kissi ont mieux résisté du point de vue linguistique que leurs voisins de l'Est: Toma, Kpellé, Manon, etc. Les auteurs sont en effet unanimes à constater que la culture forestière malgré quelques éléments soudanais dans le Nord, est demeurée intacte et adoptée par les réfugiés de diverses origines que le pays Kissi a pu accueillir.

 

Contrairement à l'idée que les Kissi seraient des refoulés relativement récents du Fouta-Djallon, on doit noter que les Tyapi (ainsi nommés par les Peul et les Malinké) ou Landouman (selon les Soussou, les Baga et les Nalou) qui, au nombre de 1 300, se trouvent dans le cercle de Gaoual, prétendent provenir de la forêt du pays Kissi et ont une grande connaissance de la culture du colatier, ce qui pourrait confirmer cette tradition. Il est vrai que les bouleversements ont été tels dans cette région qu'à plusieurs siècles de distance on pourrait voir revenir une branche Kissi sur son habitat primitif - précisons que la langue des Tyapi est voisine de celle des Baga du cercle de Boké et de celle des Timéné de Sierra-Leone, toutes langues appartenant comme le Kissi à la famille sénégalo-guinéenne ou OuestAtlantique.

 

En fait, l'arrivée récente des Kissi dans leur ensemble sur leur territoire forestier, reposait donc sur l'opinion qu'ils n'étaient pas les auteurs des statuettes de stéatite, dont l'aire déborde d'ailleurs largement le pays Kissi, et que celles-ci (que l'on trouve en terre) n'étaient que d'une ancienneté relative puisque des instruments métalliques avaient été nécessaires pour les sculpter. D'autre part, les détails vestimentaires prouvaient sur certaines pièces sinon une influence tout au moins un modèle portugais.

 

Si Y. Person n'a pas été le premier à mettre en doute l'attribution de cette statuaire à d'autres qu'aux Kissi et peuples apparentés, puisque les Administrateurs P. Humblot en 1914 et G. Itier en 1926 avaient affirmé qu'ils avaient eu la preuve de la survivance secrète de cet art en pays Kissi, on lui doit une étude complète et approfondie de la question.

 

A Mafindu, village éloigné, proche du pays Toma, l'auteur a trouvé des sculpteurs de statuettes anthropomorphes dont la production est d'un style sommaire et grossier, tout en rappelant les antiques pòmta par certains traits. La question s'est alors posée à lui de savoir si c'était là le produit d'une tradition différente ou le dernier stade d'une dégénérescence.

 

D'après ce qui a été recueilli à Mafindu, il s'agit d'une tradition très ancienne, mais ces statues n'avaient pas de valeur rituelle. Les enfants s'y essayaient et il s'opérait une sorte de sélection parmi eux. Par la suite, on assista à une perte d'intérêt et les sculpteurs se firent de plus en plus rares. Cependant, le pays est un des plus riches, sinon le plus riche en pòmta.

 

 La population Kissi dans son ensemble ne pense pas que le pòmdo soit fait de main d'homme, mais en allant plus en avant dans ses investigations, Y. Person a appris des vieillards qu'un pòmdo avait bien été sculpté par un ancêtre et que la découverte de la statuette est due à la volonté de cet ancêtre qui désire l'avoir pour demeure.

 

Cette sculpture sur pierre serait liée à la forme d'Initiation la plus ancienne le « Toma Dugba » qui aurait été détrôné dans l'Est, vers 1800 par le Toma Pokina, rite calqué sur celui des Toma, et le Toma Bendu dans le Nord et l'Ouest avec une influence malinké et l'Initiation Sokoa, purement Kissi dans l'Ouest et le Sud.

 

Le Toma Dugba, initiation archaïque, orientée autour de la circoncision, serait encore pratiquée dans trois villages (Kundian-Laddu et Yadu) du canton de Baïdu ; c'est pendant la période de guérison que les nouveaux circoncis recevaient des morceaux de stéatite et un sujet indiqué par le surveillant. Les talents se révélaient alors. Le produit de ces essais n'avait pas la valeur religieuse et les statuettes étaient abandonnées dans la forêt. Les jeunes gens les plus doués continuaient à sculpter sur commande, l'initiation terminée. Après la disparition du Toma Dugba, la coutume s'est perpétuée.

 

 Selon les informateurs, même dans les temps anciens, on distinguait des statuettes, objets d'art et des statuettes objets rituels. Ces dernières étaient gardées dans la forêt ou sur une tombe et quand le village disparaissait les statues restaient ensevelies. Découvertes en terre à l'occasion des travaux agraires ou d'une nouvelle construction, elles prenaient valeur religieuse et l'ancêtre correspondant à elle se révélait  au découvreur et l'informait de son intention d'y élire sa demeure.

 Il n'y a donc, semble-t-il, aucune solution de continuité entre les anciens occupants du sol et les Kissi, même si ceux-ci ne sont que les descendants métissés d'apports allogènes, de ceux-là.

 Le grand nombre de statuettes découvertes à ce jour et la variété des styles amènent à penser que cet art a duré de longs siècles.

  

  1. Paulme a étudié plus spécialement deux statuettes Kissi. Ce sont des statuettes « Janus » qui représentent l'interrogatoire du mort pendant les funérailles, ce qui est proprement un trait de la culture archaïque, qu'elle soit paléonigritique de savane ou ouest-africaine et forestière. Y. Person pense même qu'il peut s'agir de l'interrogatoire d'un pòmdo par un devin, ce qui serait non seulement sylvestre mais précisément Kissi.

 

 La sculpture sur pierre des proto-kissi, comme la sculpture sur bois des Toma, des Kpellé et des Manon (lesquels ignorent la sculpture sur pierre) est liée à la « forêt sacrée », siège de l'initiation et donc à la très vieille civilisation forestière.

 

Or à trois exceptions près, l'aire des statuettes de stéatite coincide avec le territoire des Kissi- Krim-Sherbro au milieu du XVe siècle, selon ce qu'on peut déduire des récits des navigateurs portugais de l'époque.

 

Ces exceptions sont : d'une part le pays G'bélé où des statues de pierre sont signalées par Schwab et que Y. Person classe en Kru du point de vue linguistique mais que de Lavergne de Tressan classe en Sénégalo-guinéen, ce qui n'en ferait plus une exception ; d'autre part, la région de Manfara dans le canton de Tinki où certains villages Kissi (Firawa, Kossilan et Telebodu) disent ne pas trouver de statues sur leur territoire. Ce dernier fait ne pose pas de problème s'il est exact que ces villages ont toujours ignoré l'iniation Toma Dugba.

 

Même si Y. Person a raison contre de Lavergne, le fait que l'aire de la statuette déborde le cadre strict Kissi, Bulom, Sherbro, Krim, peut s'expliquer par les relations étroites qui existaient entre les G'bélé et les Kissi du Wamu sur la rive gauche de la Makona avant que l'invasion Sumba du XVIe siècle ne les séparent.

 

Quant aux Mani, s'ils appartiennent bien à la famille Kissi-Sherbro et qu'on ne trouve pas de statuettes sur leur territoire, ils en ont été séparés par les Temmé dès le XIVe siècle et occupent une position excentrique.

 

  1. Person se base également sur la toponymie pour étayer sa théorie selon laquelle les Kissi- Krim-Sherbro s'étendaient bien au-delà de leurs frontières actuelles et ce à une époque très reculée.

 

La démonstration est ici moins probante à notre avis. Tout d'abord, en matière de toponymie, il faut être extrêmement méfiant comme en matière de noms de clan. Il y a souvent pluralité de toponymes et les cartographes peuvent noter des toponymes qui leur sont indiqués par des interprètes qui veulent se procurer des lettres de noblesse en prenant des appellations non autochtones mais données par le conquérant dominant.

 

Ce ne serait pas le cas ici puisque :

 

« la toponymie Kissi présente un caractère exceptionnel, elle est inexplicable par la langue Kissiye actuelle », ce qui semblerait contredire la thèse, mais l'auteur ajoute « sauf un très petit nombre de formes qui intéressent heureusement un très grand nombre de lieux ».

 

Cette toponymie qui est liée au pays Kissi n'a que peu d'analogies avec celle des pays Toma et Malinké ; elle a disparu du pays Kouranko qui fut le siège d'un peuplement Kissi et Y. Person d'ajouter :

 

« Pour que ces toponymes aient survécu, il faut qu'un fort métissage ait eu lieu et non une élimination pure et simple comme ce fut le cas en pays Kouranko ».

 

L'auteur signale en outre qu'en pays Kono, actuellement de langue mandé-tan dite résiduelle, mais dont les habitants stabilisés depuis le XVIe siècle se considèrent comme cousins des Kissi, il subsiste une toponymie plus qu'à demi Kissi.

 

Si en pays Toma et Gbandi, les toponymes Kissi paraissent absents, en pays Mendi un quart des toponymes sont Kissi. Plus à l'Ouest, en pays Temné, absence de toponymie Kissi mais présence dans l'Ouest du pays Vai jusqu'à l'embouchure de la Makhona ou Moa. Là où on constate une parenté de langue évidente, pays Krim et Sherbro, il y a parenté des toponymes.

 

En conclusion :

 « Nous voici donc amenés à présumer que la totalité du Kono, une grande partie du Mendi et une partie du Vai, c'est-à-dire une zone qui correspond très exactement à celle où l'on trouve des pòmta, a été occupée à une époque donnée par les ancêtres des Kissi-Sherbro ou du moins par des groupes ethniques étroitement apparentés » 

 

Si les artistes à qui l'on doit les statuettes n'avaient aucun rapport avec les Kissi, il faudrait supposer, puisque le fer n'est apparu qu'au vie siècle et qu'il est indispensable à cet art, et puisque vers 1300 les Kissi-Sherbro étaient en place, que le peuple auquel appartenaient ces artistes après avoir créé et fait évoluer cette statuaire, a disparu sans laisser de traces.

 

Les armures et les boucliers portugais visibles sur certaines pièces prouvent qu'au xve siècle, cet art éait bien vivant et concommittant à la présence Kissi. D'ailleurs, Antoine Malfante, un voyageur italien, de passage au Touat 87 signale que les peuples situés au sud des empires soudanais, idolâtres, en guerre les uns contre les autres, vénèrent des statues de pierre, et ce au mifieu du xve siècle.

 

 Nous ne pouvons que renvoyer à la conclusion générale de Y. Person et en déduire que sinon les Kissi que nous connaissons mais des Proto-Kissi occupaient l'Ouest de la région forestière en  des temps très anciens et constituent avec les Kru représentés par les Guéré, les Basa et les G'bélé, le substratum humain sur lequel les sédiments mandé vont se déposer pour donner les populations de la région forestière actuellement en place.

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